Le pacte de préférence éditoriale portant sur les oeuvres musicales futures de l'auteur sans plus de précision est nul, de même que les contrats de cession et d'édition prévoyant une répartition des droits d'exécution publique contraire à celle prévue par les statuts de la SACEM.
1. Les faits
Un auteur compositeur avait conclu avec un éditeur des contrats de cession et d'édition portant sur plusieurs oeuvres musicales ainsi qu'un pacte de préférence éditoriale.
Considérant que deux des oeuvres dont il était éditeur étaient exploitées au sein de deux oeuvres distinctes par un tiers, l'éditeur a mis en demeure ce dernier, ainsi que le distributeur des enregistrements correspondants, de cesser cette exploitation, sans succès.
L'éditeur a alors fait assigner l'auteur compositeur et l'éditeur des oeuvres prétendument contrefaisantes devant le tribunal judiciaire en contrefaçon de droit d’auteur et responsabilité contractuelle.
L'éditeur tiers n'ayant pas constitué avocat, les débats se sont concentrés entre l'éditeur demandeur et l'auteur.
Afin de s'opposer aux demandes de l'éditeur, l'auteur a soulevé la nullité :
- du pacte de préférence conclu avec lui en invoquant notamment l'absence de détermination du genre des oeuvres objet du pacte ;
- des contrats de cession et d'édition conclus avec lui, en invoquant le fait qu'ils prévoyaient une répartition des droits d’exécution publique entre l'auteur et l'éditeur contraire à la répartition statutaire par tiers de ces droits prévue par les statuts de la SACEM.
2. Problématiques juridiques
2.1. Un pacte de préférence éditoriale portant sur les "oeuvres musicales actuelles et/ou futures" de l'auteur sans plus de précisions sur le genre des oeuvres en question est-il valable ?
2.2. Un contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale prévoyant une répartition des droits d'exécution publique différente de la répartition statutaire de la SACEM est-il nul ?
3. Réponses du tribunal
3.1. Le tribunal rappelle tout d'abord que :
- les dispositions de l'article L. 132-4 du CPI, relatives au pacte de préférence, "sont d’interprétation stricte et édictées dans l’intérêt de l’auteur" dès lors qu'elles sont dérogatoires au principe posé par l’article L.131-1 du même code, portant prohibition de la cession globale des oeuvres futures ;
- ce dont il résulte que "pour être valable, un pacte de préférence doit préciser le genre des oeuvres sur lesquelles il porte et doit être limité en nombre d’oeuvres ou dans le temps".
A la lumière de ces principes, le tribunal juge que le pacte de préférence, qui se contentait de faire référence aux “oeuvres musicales” sans plus de précision, est nul.
Le tribunal écarte au passage l'argument de l'éditeur selon lequel il aurait été notoire que l'auteur faisait de la chanson de variété, cette circonstance n'étant pas de nature à dispenser l'éditeur de préciser le genre musical visé par le pacte.
3.2. Le tribunal constate, ce qui paraissait difficilement contestable, que les contrats de cession et d'édition prévoyaient bien une répartition par moitié entre l'éditeur et l'auteur des droits d'exécution publique, contraire à la répartition par tiers (1/3 pour l'éditeur, 1/3 pour l'auteur et 1/3 pour le compositeur) prévue par les statuts de la SACEM.
Le juge déduit de ce constat la nullité de la clause des contrats prévoyant cette répartition par moitié.
Allant plus loin, le tribunal considère, en se fondant sur l'article 1184 du code civil, que la clause de rémunération constitue un élément essentiel du contrat et déterminant du consentement de l'auteur et que, partant, sa nullité emporte celle du contrat dans son entier.
Le raisonnement est strict. L'éditeur avait notamment soulevé le fait que la SACEM répartissait d'office les droits d'exécution publique par tiers malgré les stipulations contraires du contrat. Le tribunal n'a visiblement pas estimé que cette circonstance était de nature à limiter la portée de la nullité de la clause de rémunération.
Le tribunal tire toutes les conséquences de la nullité des contrats de cession et d'édition et condamne donc l'éditeur à restituer à l'auteur les sommes perçues de la SACEM au titre de l'exploitation des oeuvres en cause.
Dans cette affaire, l'éditeur qui cherchait à l'origine à engager la responsabilité de l'auteur aura donc perdu l'intégralité de ses droits sur les oeuvres de ce dernier avec effet rétroactif et aura été condamné à lui restituer l'ensemble des sommes qu'il avait perçues de la SACEM.
Un éditeur projetant d'assigner l'auteur dont il édite les oeuvres sera donc bien avisé de s'assurer en amont de la validité du pacte de préférence et des contrats de cession et d'édition le liant à lui.